A l’heure où tout le monde parle d’Agilité, on constate que de nombreuses entreprises utilisent encore la méthode de gestion de projet dite traditionnelle, aussi appelée classique ou « waterfall » (chute d’eau) que l’on retrouve décrite dans le PMBoK (Project Management Book of Knowledge) du PMI.
Il est désormais temps d’aller outre cette rivalité pour proposer une méthode hybride combinant les deux approches.
Waterfall et Agile : deux mondes opposés ?
Quelles sont les grandes différences qui existent entre la méthode traditionnelle et la méthode Agile ?
Construite sur une approche « top down », la méthode traditionnelle nécessite une bonne connaissance du périmètre du projet. Elle s’appuie sur des groupes de processus. Un chef de projet effectue le management centralisé du projet. En outre, les modifications de contenu impliquent une demande de changement validée par un comité spécifique. Les parties prenantes identifiées pour cette approche sont le commanditaire, le chef de projet et les autres membres de l’équipe projet. En bref, le périmètre est connu et figé, le budget et le planning sont estimés et mis en place dès le début du projet. Cette méthodologie répond à des projets classiques tels que la construction de maisons par exemple.
La méthode Agile, quant à elle, correspond davantage à un mode itératif et collaboratif. Elle permet davantage de souplesse pour s’adapter avec l’évolution du contenu du produit tout au long du projet. Elle provient du développement logiciel qui prend naturellement en compte les besoins d’innovation et les incertitudes. Le projet est moins contraint par un plan de projet mais davantage par les individus. L’emphase est portée sur la valeur d’affaire (business value) et les mises à jour régulières et exploitables du produit. L’approche est davantage de type « bottom up » et l’équipe projet est autogérée. Elle fonctionne en mode collaboratif. L’usage est « d’apprendre en faisant ». Les parties prenantes recensées dans un projet Agile peuvent être le Product Owner (le client), les membres de l’équipe (qui apportent chacun une forte valeur ajoutée), les utilisateurs, les parties prenantes clés et les testeurs. Le client est au cœur du projet (il a son propre représentant au sein de l’équipe : le Product Owner). Pour conclure, les ressources et le planning d’un projet Agile ne sont pas extensibles (figées dès le départ) mais le périmètre peut évoluer tout au long du projet. Le mode Agile s’adaptera à des projets complexes, évolutifs. La création d’un jeu vidéo est un bon exemple de projet pouvant être conduit en Agile.
Pour aller plus loin dans la comparaison des méthodes traditionnelle et agile, n’hésitez pas à lire mon article : Méthode traditionnelle VS. méthodes agiles.
Aujourd’hui, une majorité des gestionnaires de projets est formée séparément aux deux méthodologies. En outre, les formateurs sont généralement experts dans l’une ou l’autre des approches. Ils sont ainsi tentés de privilégier l’approche qu’ils enseignent. Il est alors nécessaire, pour les gestionnaires de projets, de comprendre que chacune des méthodologies possède ses propres forces et faiblesses. Aussi il convient d’expérimenter les différentes approches pour trouver le moyen de combiner le meilleur des deux au travers de projets qui le permettent.
Une troisième voie est possible : l’hybridation
La solution est peut-être hybride entre une gestion traditionnelle de projet et une méthode Agile visant à utiliser leurs forces respectives et limiter l’impact de leurs faiblesses.
Dans la plupart des projets, nous constatons que nous utilisons à la fois un peu de Waterfall et un peu d’Agilité. Il existe effectivement une troisième voie possible : l’hybridation. Stéphane Derouin, ancien Président et Fondateur du PMI France, était présent à Lyon le 1er décembre 2016 pour nous parler de cette approche hybride mélangeant les méthodes traditionnelles avec les méthodes Agiles.
La présentation, disponible sur le site du chapitre PMI France, est claire. Elle distingue bien les deux approches existantes et utilise de belles illustrations pour chacune d’entre elle. Effectivement, Stéphane Derouin s’est amusé à comparer les deux approches à un style musical. Ainsi, la méthode Waterfall est ici illustrée par un orchestre symphonique tandis que l’approche agile est interprétée par un groupe de Jazz.
Waterfall : un orchestre symphonique
L’approche Waterfall est présentée par Stéphane Derouin comme l’idéalisme de l’Europe Occidentale (théorie d’Emmanuel Kant) avec des notions de déduction, d’approche systémique et de vision globale et à moyen/long terme.
Si l’on faisait le parallèle des méthodes traditionnelles avec la musique, on les définirait comme un orchestre symphonique dirigé par un chef d’orchestre (le chef de projet) où chacun est placé à un endroit précis, joue une partition identifiée, et où tout est écrit à l’avance ; l’auditoire (le client) paye pour obtenir ce service (le livrable du projet).
Agilité : un groupe de Jazz
A son tour, l’Agilité est illustrée comme l’empirisme anglo-saxon (théorie de David Hume) avec des notions d’induction, d’itérations, de pragmatismes et de vision à court terme.
Quant au parallèle avec le monde de la musique, la méthode Agile est interprétée par un groupe de Jazz moderne avec une équipe peu nombreuse sans chef d’orchestre ni aucune partition mais où chacun des musiciens excelle dans le domaine et joue également le rôle de coach (coach agile) ; toutefois aucun membre ne peut être retiré ou substitué. Chacun des musiciens du groupe est connu et est une personnalité à lui tout seul. Les principales caractéristiques sont alors l’auto organisation, l’interdépendance, l’improvisation, le soutien des uns et des autres. Côté client, les spectateurs ne savent pas exactement ce qu’il leur sera proposé. Parfois, les soirées seront excitantes, parfois moins ; certains spectacles se dérouleront dans une ambiance cool alors que pour d’autres le public sera plus exigeant.
L’hybridation : le Rock’n’roll !
L’hybridation répond à plusieurs besoins identifiés aujourd’hui par les gestionnaires de projet. Premièrement, l’optimisation de la gouvernance de projets via une gestion sélective et dynamique du portefeuille de projets (« path selector ») pour déterminer si un projet doit être réalisé en utilisant les méthodes traditionnelles ou Agile, ou encore le choix de définir les parties du projet qui devront être traitées selon l’une ou l’autre des approches. Deuxièmement, l’hybridation permet une meilleure maîtrise des projets, notamment en optimisant la gestion des demandes de changement ou de modifications (pour rappel, en Waterfall, le processus de demande de changement est lourd et passe par un comité dédié à cet effet ; en Agile, le changement est permanent tout au long du projet). Enfin, il convient d’établir une organisation et des compétences adaptées pour rendre les équipes projet plus performantes en fonction du type de projet et du profil de chacun.
Dans l’univers de la musique, l’hybridation pourrait être vue comme le Rock’n’roll. On récupère effectivement une petite équipe de l’Agilité, en utilisant des morceaux dans un format simple (Waterfall) à plusieurs (même si chacun n’est pas excellent techniquement, ça ne se remarque pas). Cette approche est plus attractive que le Jazz ou la musique Classique. Elle est aussi plus accessible et simple pour les dirigeants.
Il faut prendre en compte la dimension humaine et les compétences de chaque membre de l’équipe. Lorsque l’on décide de gérer des projets en mode hybride, il faut définir un langage hybride que chacun doit comprendre. Il est également important de s’assurer que chaque membre du groupe est capable de passer d’un modèle à l’autre.
Au-delà du projet, l’hybridation peut se faire au niveau du programme et du portefeuille. On parle ainsi des 3P.
Le 3P dans l’hybridation : Portefeuille, Programme, Projet
Au niveau du portefeuille : La sélection de la méthode s’effectue en fonction de critères objectifs et du niveau de compétences nécessaires et disponibles (exemple : méthode de Boehm et Turner qui considère cinq caractéristiques : le personnel, le dynamisme, la taille de l’équipe, la criticité et la culture).
Au niveau du programme : l’hybridation est possible au niveau du programme (projets Waterfall et projets Agile dans un même programme)
Au niveau du projet : un projet Waterfall avec un passage en mode Agile lors de changement (ou disruptions). Un démarrage possible en Agile avec un passage en Waterfall.
En conclusion…
Le choix de l’approche doit dépendre du contexte
La plupart du temps, le choix de l’approche dépend de la culture d’entreprise. Toutefois, il arrive que dans une même entreprise, des projets soient menés selon différentes approches en fonction des différents départements. Le choix de la méthode peut dépendre du projet lui-même. En effet, chaque projet a ses propres contraintes et caractéristiques. Un gestionnaire devrait être capable de choisir l’approche en fonction du contexte dans lequel s’inscrit le projet. Bien souvent, une méthodologie de gestion de projet prédomine au sein de l’entreprise. Par exemple, des entreprises vont suivre automatiquement la méthodologie de gestion de projet traditionnelle (Waterfall).
Les véritables questions à se poser sont donc :
- Dans mon projet, peut-on peut passer d’une méthode à l’autre ?
- Quel est le contexte de mon projet ?
- Quelle est la nature du projet ?
- Quels sont les buts ?
- Quelles sont les contraintes ?
- Quel est le niveau de complexité ?
- Quelles sont les compétences disponibles ?
Il est judicieux de pouvoir déterminer dès la création du projet (au niveau du portefeuille) la méthode à privilégier. Cette préoccupation doit être partagée par la gouvernance de l’entreprise. Il est souhaitable de ne pas créer une communauté Agile et une communauté Waterfall ; les deux univers doivent être mixés et doivent pouvoir s’harmoniser au gré des projets. Les gestionnaires de projet et les membres des équipes devraient être capables de passer d’une approche à l’autre.
Ainsi, l’hybridation peut être considérée comme la méthode qui rassemble la souplesse requise pour répondre aux besoins changeants du client, tout en conservant des éléments de l’approche classique pour une gestion standardisée du projet ou pour des besoins où le délai constitue une contrainte forte.
Un exemple concret d’application de la méthode hybride est l’utilisation de Water-Scrum-Fall. Cette dernière est une approche hybride. « Water » définit le travail réalisé en amont du projet, « Scrum » désigne le développement logiciel au milieu du processus, alors que « Fall » intervient pour limiter la fréquence de livraison au client. Nous reviendrons sur cette notion dans un futur article.